Je vous fait partager un article du journal l'Equipe (que j'ai reçu il y a 5min)
Attaqué de toutes parts, Chris Froome s'est battu sur tous les fronts, contre les suspicions et les controverses que suscite son équipe.
Autopsie d'un malaise
On le sait maintenant, rien ne peut déstabiliser Chris Froome, le flegmatique leader de la Sky, soumis depuis La Pierre-Saint-Martin, le 14 juillet dernier, aux assauts corrosifs d'une presse en alerte, avide de transparence, face à laquelle il dut se défendre, ces derniers jours, sans relâche – après publication d'une vidéo furtive de son ascension paroxystique du mont Ventoux en 2013 – de n'être pas un imposteur, un vague émule de Lance Armstrong, dont il épouse la pédalée frénétique, mais réfute toute parenté au prétexte qu'il « est propre » et n'a rien « à se reprocher ». Un argument obsolète. Sans effet. Dans ce Tour, le Britannique aura vécu l'enfer, le rejet. Il s'est fait siffler, huer. Dans l'alpe d'Huez, de tristes énergumènes l'ont aspergé de bière et lui ont craché dessus, « des actes marginaux », avait-il minimisé. Pour autant, ce lourd climat de suspicion aura contaminé le Tour, dans l'envers mélancolique, élégiaque, des duels colorisés entre Eddy Merckx et Bernard Thévenet dont France Télévisions truffait ses longs directs, dans un rappel distrayant d'un « passé qui ne passe pas », ce passé auquel Froome, dernier de cordée des Maillots Jaunes, se retrouvait confronté. « Je dois m'y résoudre, dit-il, je paye les erreurs de ceux qui m'ont précédé. » Dans les faits, il a gagné le Tour en six kilomètres à La Pierre-Saint-Martin, dans l'élan d'une offensive dévastatrice, fatale à Nairo Quintana.
Plus jamais, par la suite, on ne le reverra à ce niveau, si ce n'est en souffrance dans l'alpe d'Huez, dans la défroque d'un pénitent. Comme s'il y avait eu deux Froome, deux versions inconciliables du même personnage. Le dominateur de La Pierre-Saint-Martin et l'autre Froome qui tentait, sans y parvenir, de faire oublier le premier. « Ceux qui ont une mauvaise opinion de moi n'en changeront jamais, c'est une histoire sans fin », avait-il objecté à Pra-Loup au micro de Gérard Holtz.
Le chef de file des Sky s'était alors reconcentré sur la course, certains jours accessoire, sur l'onde de cette hostilité latente, « haineuse » qu'il avait perçue chez ce détraqué, non identifié, qui lui avait jeté un gobelet d'urine à la face (ce qui était arrivé à Cavendish en 2013) sur une route de Lozère. « Il m'a crié “dopé !” et l'a lancé sur moi... Pas de doute, c'était de l'urine », avait-il rapporté. Richie Porte avait reçu des coups lui aussi, Luke Rowe des crachats. Gestes navrants, insignes d'une justice populaire aveugle et partisane, fruits, selon lui, de ce « lynchage » médiatique dont il se sentait victime.
« Les journalistes n'ont jamais été très virulents avec Contador. Pourquoi donc avec moi ? », s'interrogeait-il à Valence où il avait accusé Laurent Jalabert et Cédric Vasseur d'avoir, par « leurs commentaires irresponsables », agité la vindicte du public, là où les deux consultants de France Télévisions, en experts avertis, n'avaient fait qu'exprimer leur incrédulité, un « manque de confiance » devant ses prouesses athlétiques. Jalabert s'était dit « mal à l'aise », quant à Vasseur (*), il avait eu l'impression que le vélo de Froome« pédalait tout seul ».
Pour désamorcer les critiques, le manager Dave Brailsford avait alors accepté de livrer à Gap quelques données physiologiques, fumeuses, incomplètes – illisibles diront les experts – de Froome, sans que l'on sache si ça relevait de l'information ou d'une manipulation démagogique. Pourquoi n'avait-il pas livré le fichier du SRM (capteur de puissance) que son leader avait sur son vélo à La Pierre-Saint-Martin ? Pas de réponse. Ce qui ne fit qu'accroître les suspicions, d'autant que le problème était peut-être ailleurs, dans l'existence de ses vélos motorisés dont le président de l'UCI, Brian Cookson, a reconnu l'existence « avec le risque qu'ils soient utilisés en course ». En réponse, Froome se félicitera, à Saint-Jean-de-Maurienne, que son vélo ait fait l'objet d'un contrôle, « le meilleur moyen de faire taire les rumeurs », avait-il argumenté, mais là encore, comment être sûr ? Quand on sait la superficialité de ces contrôles (depuis qu'un confrère duCorriere della Sera en a filmé un, clandestinement, sur le Giro), quand on sait, par ailleurs, qu'un certain S.V., concepteur des vélos truqués, des roues aimantées (« cinq watts en plus, à ce niveau, c'est énorme », nous avait-il expliqué) circulait en marge du Tour, comme sur le Giro, ou bien à Monaco, où tout se trame en catimini, entre gens fortunés du gotha ? Dans ce contexte, on finit par douter de tout, de Geraint Thomas, transmué en grimpeur à vingt-neuf ans – tout comme Bradley Wiggins –, au point de rivaliser dans les cols avec Vincenzo Nibali. Comment expliquer, chez Froome, sa révélation tardive sur la Vuelta à vingt-six ans, dans le fil d'une carrière anonyme ? Le Tour n'aura pas balayé tous ces mystères. Mais davantage que Froome, c'est l'équipe Sky et son manager Dave Brailsford qui nourrit les critiques, les attire, par son indifférence aux règles communautaires d'un sport qui se vit en peloton, par la présence embarrassante de motor-home, la nuit, sur le parking de leur hôtel, quand l'UCI en prohibe l'usage, même si Brailsford assure « que seuls les membres du staff les utilisent ».
D'ailleurs, que fait l'UCI ? Comment prétendre à la transparence, quand le propre fils de Brian Cookson, Olivier, officie au sein de la Sky, responsable du secteur technique ? Ce qui surprend chez les Sky, c'est cette liberté qu'ils prennent avec la déontologie et les règles non écrites du peloton, que Richie Porte avait bafouées, transgressées au Giro (quand, sur crevaison, il avait accepté une roue de Simon Clarke d'Orica GreenEdge), comme à La Pierre-Saint-Martin, quand il devança Nairo Quintana sur la ligne, après être resté calfeutré dans sa roue.
« Qu'ils (les Sky) ne s'étonnent pas, après cela, qu'on les rejette » , avait commenté Luca Guercilena, manager de Trek. Et puis il y a cette image déplaisante qu'ils renvoient à tous ceux qui ne cautionnent pas leur concept de la modernité, d'incorrigibles nostalgiques, incapables d'évoluer quand le seul recours n'est pas technologique mais spirituel. Le cyclisme a un urgent besoin de retrouver sa crédibilité. Et puis, le Tour ne serait rien si ce n'était qu'une course cycliste. Ici, la victoire n'est pas une valeur absolue et les palmarès comptent moins que l'empreinte. Luis Ocaña est plus populaire que Miguel Indurain. Et Peter Sagan restera l'un des « lauréats » de cette édition, sans avoir gagné d'étape. Ce qui se jouait autour de Froome, des Sky, c'est la nature, l'essence du Tour, sa portée philosophique, ce Tour qui continue, malgré tout, d'incarner le rêve secret de Marcel Aymé « d'une ville à la campagne », un lieu de transhumance, de partage où le public a besoin de croire en la véracité de ses personnages, dans la libre pensée d'un Jacques Anquetil, qui en 1967, après la mort de Tom Simpson au Ventoux, déclarait au journal le Meilleur : « Je me dope, parce que tout le monde se dope. » Un lieu d'échange où la parole circule, où les journalistes sont là, aussi, pour prévenir le Tour contre ses propres poisons. Parlant de son rôle de consultant qu'il exerce pour RMC, Cyrille Guimard soulignait l'autre jour, dansOuest-France, à quel point il se refusait d'«être un cireur de pompes », complice des intérêts dominants. Ancien Maillot Jaune du Tour 1972 face à Merckx, Guimard est l'héritier d'un temps où les champions parlaient sans filtre. Le Tour était alors plus lisible que la vie elle-même et puis, un jour, au tournant des années quatre-vingt-dix, les coureurs se sont renfermés dans le silence capitonné du secret médical, dans le rejet des journalistes. L'ère de l'EPO s'ouvrait. Avec elle, le mensonge institué. C'était avant que l'affaire Festina ne crève l'abcès, avant que Lance Armstrong ne débute un long règne qui n'en finit plus de pervertir les rapports, l'idée même du Tour, sa beauté, pour le plus grand dommage de Chris Froome.
I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!