Pourquoi Lance Armstrong peut se faire du mauvais sang
L'ancien champion américain est sous le coup d'une enquête de l'agence antidopage de son pays. La procédure promet d'être longue, mais l'étau se resserre, et le Texan pourrait perdre tous ses titres.
Lance Armstrong croyait s'être débarrassé du pitbull Jeff Novitzky, agent fédéral de la Food and Drug Administration. Le voilà désormais dans le collimateur de Travis T. Tygart, le patron de l’agence antidopage américaine (Usada). Pour «L.A», l'étau se resserre. S’il avait échappé à la justice pénale américaine, il est désormais visé par les instances sportives de son pays, qui comptent lui faire payer plusieurs années de dérobades sur son dopage présumé.
Quelle est la nouvelle procédure ?
Le 4 février, Lance Armstrong prend «une grosse cuite» pour fêter la fin de l’investigation fédérale qui le visait depuis deux ans pour fraude et détournement de fonds publics. L’ancien cycliste reconverti en triathlète espère en avoir enfin terminé avec les désagréables technocrates qui lui pourrissent la vie depuis son retrait des pelotons. Peine perdue. A peine l’enquête fédérale bouclée, le patron de l’Usada annonce sa volonté de poursuivre ses investigations sur le volet sportif. C’est cette procédure qui est aujourd’hui révélée au grand jour.
L’agence antidopage américaine a envoyé, mardi 12 juin, une lettre de 15 pages à six protagonistes de l’affaire. Parmi eux, Lance Armstrong, désormais sous le coup d’une nouvelle enquête disciplinaire. «L.A» ne s’est pas départi de sa ligne de défense habituelle. Sur son compte Twitter, il dénonce la «dernière chasse aux sorcières» de l’Usada, sous le hashtag «anticonstitutionnel». Sur son site officiel, il s’en prend à la «vendetta» d’une agence «financée par les contribuables américains».
Au contraire des autres mis en cause, Armstrong a refusé de venir s’expliquer devant les experts de l’Usada, jugeant qu’on attendait de sa part une «confession» plutôt qu’un «témoignage». Il a désormais jusqu’au 22 juin pour envoyer, par écrit, des éléments de défense à l’agence basée à Colorado Springs.
De quels éléments dispose l’Usada ?
L’agence américaine se base sur les témoignages de dix anciens cyclistes, dont l’anonymat a été préservé. On peut toutefois supposer que certains de ceux qui avaient déjà déposé sous serment lors de l’enquête fédérale se sont remis à table : Floyd Landis, Tyler Hamilton, George Hincapie... autant de compagnons de route du Texan pendant les années US Postal.
http://www.scribd.com/doc/97195202/La-lettre-de-l-USADA
Ces témoins décrivent un système organisé de violation des lois antidopage entre 1996 et 2010. Ils mettent aussi au jour une pharmacopée digne des meilleures heures de la RDA. De l’EPO (nom de code : «Edgar Allen Poe») pour augmenter l’endurance ; des transfusions sanguines pour augmenter le nombre de globules rouges ; de la testostérone mixée avec de l’huile d’olive (aux vertus masquantes) pour augmenter la masse musculaire ; des hormones de croissance ; des corticostéroïdes ; des injections de sérum, plasma ou glycérol pou faire tomber les taux d’hématocrites.
Lance Armstrong, son directeur sportif Johan Bruyneel (qui doit prendre le départ du prochain Tour de France avec l'équipe Radioshack) ou encore le médecin italien Michele Ferrari sont accusés d’avoir mis en place ce dopage institutionnalisé. Les témoignages mettent aussi en évidence l’entreprise de dissimulation, de pression et d’intimidation pour maintenir l’omerta. Les fausses déclarations des incriminés, aux médias comme à la justice, peuvent leur coûter cher.
Ce premier volet de l’affaire, basé sur les déclarations des divers protagonistes, n’est pas nouveau. Sera-t-il suffisant pour faire tomber Armstrong ? Le code de l’Agence mondiale antidopage stipule qu’un athlète peut être poursuivi même si il n'a subi aucun test positif. Armstrong risque néanmoins de réutiliser la même ligne de défense, à savoir que les déclarations de ses anciens coéquipiers sont mensongères.
Le Texan s’appuie sur le fait qu’il a subi «plus de 500 contrôles» durant sa carrière et n’a «jamais été positif». Les contrôles positifs réalisés à posteriori sur ses échantillons du Tour 1999, voire sur ceux du Tour de Suisse 2001, laissent planer le doute, mais ne sont pas recevables légalement. L’Usada souligne néanmoins qu’elle a recueilli de nouveaux éléments : des échantillons sanguins prélevés par l’UCI en 2009 et 2010 et qui sont parfaitement compatibles avec une manipulation incluant l’utilisation EPO et/ou de transfusions.
Que penser de ces échantillons sanguins ?
L’Usada ne donne pas plus de détails sur l'élément le plus novateur de l’enquête. Lors de son come-back dans les pelotons en 2009-2010, «L.A» aurait donc continué à se charger. La formulation ambiguë de l’agence américaine laisse cependant supposer qu’Armstrong n’a pas été factuellement contrôlé positif. A partir de là, deux hypothèses. Le cycliste américain aurait pu être piégé par son passeport biologique. Ce système, mis en place dans le peloton professionnel en 2008, permet de mettre en évidence les variations hématologiques douteuses. Mais il n’a pas valeur de preuve irréfutable, comme le rappelle l’hématologue Gérard Dine, qui a contribué à le mettre en place. «Le passeport ne correspond pas à un test positif, il permet juste de mettre en évidence une suspicion de dopage.»
L’autre thèse, avancée par le journal l’Equipe ce vendredi, c’est qu’Armstrong aurait été pincé par les valeurs hématologiques qu’il a lui-même mis en ligne sur Internet, lors de son come-back, pour prouver sa bonne foi. Mais là encore, de tels éléments ne seraient pas incontestables, selon Gérard Dine. «Je crains une bataille d’experts scientifiques qui ne pourrait pas aboutir à un oui/non absolu, explique-t-il. A son niveau de compétence, Armstrong est capable de s’entourer des meilleurs conseillers. Sa ligne de défense est déjà très rodée.»
Que risque Armstrong ?
L’icône de la lutte contre le cancer pourrait déjà écoper d’une suspension sportive à vie. Ce qui, à presque 41 ans, ne doit pas l’empêcher de dormir... Plus embêtant, Armstrong pourrait être destitué de plusieurs de ses titres. A priori, la période de prescription dans ce genre de cas est de huit années. L’Américain pourrait donc conserver ses Tours de France acquis avant 2004. A moins que l’Usada ne considère que «L.A» a délibérément fait entrave à la justice. Dans ce cas, tout son palmarès pourrait être effacé.
«Si l’agence américaine avance de manière si frontale, c’est qu’elle estime, avec sa batterie d’avocats, qu’elle peut faire tomber Armstrong», juge Pierre Ballester. Pour le journaliste, spécialiste des affaires de dopage, cette nouvelle procédure marque un tournant. «Le sport de haut niveau a longtemps été considéré comme une cour d'école pour ados attardés. Or, on se rend compte que ce milieu brasse des milliards de dollars et qu’il génère des pots de vin, du dopage... A un moment donné, il faut accepter de prendre le sujet à bras le corps. Pour moi, la jurisprudence, c’est l’affaire Contador.»
Le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard est plus prudent. «
Tout cela ne remet pas en cause les aptitudes d’Armstrong. Entre 1999 et 2005, il a été le meilleur. Les coureurs qui le suivaient au classement ont tous été impliqués ou suspectés pour le même genre de pratiques. Le seul problème d’Armstrong, c’est qu’il a tenté de se faire passer pour un chantre de la lutte antidopage. Il s’est moqué du monde. Mais donner ses titres au deuxième ou au troisième, ça ne changera rien.»
I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!