Je ne pense pas qu'il y ait d'esprit Ironman spécifique. En revanche, je pense qu'il y a un certain nombre de traits communs aux pratiquants de sports qui nécessitent un entrainement régulier et un miniumum de rigueur dans la préparation pour pouvoir espérer terminer les épreuves correctement : course à pied, triathlon, trail... à la différence d'un sport comme le tennis (par exemple, et sans vouloir faire de peine à personne) où on peut s'aligner sur un match sans entrainement sans grand risque pour sa santé.
Ces traits communs, qui ont tendance à se marquer davantage lorsque les distances augmentent, sont à mon avis : la conscience que "l'on n'a rien sans rien", c'est à dire qu'il faut travailler/s'entrainer pour obtenir le résultat que l'on souhaite, la conscience qu'il faut serrer les dents et surmonter les difficultés pour atteindre son objectif quel qu'il soit, la volonté de s'accrocher. Ce dernier élément vient du fait que tous ces athlètes ont en commun d'avoir investi du temps et de la sueur dans leur préparation, et qu'ils sont prêts à s'accrocher pour ne pas gâcher ces efforts, même si, en cas de grosse difficulté, tout le monde ne placera pas le curseur au même endroit.
Hormis ces traits communs, je crois qu'il y a surtout beaucoup de différences liées aux individus :
- certains auront le respect de tous les concurrents du premier au dernier comme le dit Herminator, et d'autres considéreront que en dessous d'un certain niveau ce n'est plus vraiment du sport
- certains frimeront avec leurs performances plus ou moins ouvertement et d'autres ne chercheront pas à épater la galerie
- certains feront preuve de solidarité en course, par exemple en s'arrêtant s'ils sont les premiers à arriver auprès d'un concurrent en difficulté, et d'autres pas
- certains balanceront leurs détritus comme des porcs n'importe où -y compris en trail- alors qu'un emballage vide est quand même moins lourd qu'un emballage plein qu'ils ont pourtant réussi à porter jusque là, et d'autres les garderont dans la poche ou la main jusqu'à la prochaine poubelle...
- certains seront "prêts à tout" pour finir et d'autres estimeront qu'il y a des limites à ne pas dépasser et préféreront abandonner en dépit de ce que ça peut leur coûter.
Sur cette question de l'alternative abandon/finir quel que soit son état, qui revient beaucoup, la question est à mon avis : dans quelles circonstances peut-on ou ne peut-on pas abandonner ? Sur cette question, je trouve qu'il y a parfois dans certains propos pas mal de mépris vis-à-vis de ceux qui font le choix d'abandonner et une certaine forfanterie à dire "il faut aller au bout de ses limites", "tu aurais pu continuer"... en gros, "t'as abandonné, t'es une lopette, t'es pas digne de respect, t'as pas l'esprit Ironman, bref t'es pas des nôtres...".
Pour rendre mes propos moins théoriques, je les illustre avec mon expérience personnelle (forcément intéressante, puisque c'est ma vie...) Pour ma part, j'ai abandonné 4 fois sur des épreuves de longue distance, à chaque fois parce que j'ai estimé que je me mettrais en danger, physique ou moral, si je cherchais à aller plus loin. Au marathon de Lyon en 2003, j'ai eu plusieurs séries de vomissements et je voyais des étoiles à partir du 25ème km par un jour de forte chaleur : j'ai estimé qu'il y avait danger. A Embrun en 2005, j'avais fait Roth 6 semaines avant, j'ai arrêté juste après le vélo parce que je ne me suis pas senti mentalement capable de partir pour 5 heures de course et n'ai pas voulu prendre le risque de me dégoûter à vie. A Embrun en 2007, j'ai arrêté après 25km de course à pied suite à des vomissements par une forte chaleur, dans un état de fatigue physique et morale avancée, cette fatigue étant due à la perte d'un ami dans un accident de vélo un mois avant. Aux 100 km de Millau en 2007, j'ai arrêté après 91 km après deux "malaises" d'hypoglycémie et dans un état d'épuisement physique et moral avancé. Pourtant je tenais "plus que tout" à finir cette course, que nous courions avec plusieurs amis "en hommage" à notre ami décédé en juillet... mais plus que tout pour moi veut dire jusqu'aux limites du raisonnable, sans se mettre en danger.
A côté de ces abandons, j'ai aussi su serrer les dents sur d'autres courses, parce que j'estimais que je pouvais le faire sans risque : un premier marathon terminé dans la douleur à 21 ans, un marathon terminé dans mon plus mauvais temps après un départ trop rapide et malgré une grosse chaleur, les Ironman de Zurich et Roth en serrant les dents et en refusant de marcher à Roth pour terminer le marathon en 4h20, une Saintélyon finie avec des péroniers hyper douloureux à cause des grandes descentes. J'ai aussi fini mon premier triathlon MD au lac des Sapins en 2001 en voyant des étoiles par une forte chaleur (encore !!! je suis poursuivi), en vomissant plusieurs fois après l'arrivée et en finissant sous la tente des secouristes avec une perf : aujourd'hui, je ne le referais pas...
Certains estimeront peut-être que j'ai tendance à avoir une vision un peu large du danger et à abandonner dès que ça devient "un peu" dur. Mais pour avoir fait un passage par précaution sous la tente des secouristes à Embrun l'an dernier, et avoir vu plusieurs dizaines de "morts-vivants" sous perfusion, j'estime que terminer une course (=un loisir, un plaisir... rien de vital en somme) dans cet "état-là", c'est se mettre inutilement en danger : on ne sait pas quelles séquelles peuvent avoir une déshydratation, une insolation ou un état d'épuisement extrême sur la santé... donc à mon avis le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Certains peuvent considérer que ce sont des excuses, moi j'estime que ce sont mes choix et qu'ils étaient, au moment où je les ai faits, justifiés. Ces mêmes personnes estimeront peut-être que le bon choix, le choix courageux c'est de finir en vomissant tous les kilomètres et avec une perfusion dans le bras... Ce n'est pas mon avis. Lorsque quelqu'un abandonne, je considère a priori que ses raisons sont justifiées, et je pense que "l'esprit Ironman", s'il devait exister, gagnerait à ne pas estimer qu'il faut être prêt à tout y compris à vomir et ramper pour terminer mais plutôt à respecter les décisions de chacun.
Bon courage d'avance aux futurs Ironman finishers de l'année, et soyez prudents
