Il était une fois : la mort du sport associatif et fédéral.
Publié : 26 mars 2006 21:41
Il était une fois
Du hall de la Gare Saint Lazare à Athènes.
Il était une fois un groupe de collégiens parisiens passionnés de sport. Ils s’entraînaient parfois dans le hall de la gare Saint Lazare, et cherchaient un endroit plus favorable. Il s’associèrent en 1882. Ils prirent le nom de Racing Club de France. On leur attribua une clairière du Bois de Boulogne, le Pré Catelan. Il y construisirent une cabane et c’est ainsi que commença une des plus grandes aventures sportives du XX siècle. En 1896, ils formaient la majorité de la délégation française aux premiers Jeux Olympiques modernes à Athènes. Et en 1900 ils organisèrent des Jeux Olympiques sur le terrain de La Croix Catelan. Dès que possible, en 1901 Il déposèrent les statuts de leur association. Leur secrétaire général, Georges de Saint Clair, fut avec Coubertin et Henri Didon, l’un des théoriciens de l’organisation du sport en France. En 1924, comme on n’avait pas de stade pour les Jeux Olympiques de Paris, le club qu’ils avaient fondé en construisit un à Colombes. Quelques années plus tard, le club comptait 96 médaillés olympiques, 53 titres de Champion du Monde, plus de mille titre de Champion de France.
La conception du sport à laquelle ils souscrivaient et qu’ils ont fait vivre s’est imposée comme modèle à la France entière.
Ce modèle qu’ils ont contribué à imposer était fait d’associations sportives, regroupées en fédérations nationales, les fédérations se faisant représenter dans un Comité Olympique National, qui était lui-même représentant de la France au Comité International Olympique. Les clubs et les fédérations se sont donc partagé les rôles. Aux clubs les athlètes, la formation de terrain, la vie sociale, dans leur ville ou leur région, à charge pour eux de trouver des financements (par leurs cotisations, ou par des mécènes ou des partenaires industriel et plus souvent des collectivités territoriales) ; aux fédérations l’encadrement national, les équipes de France, la réglementation, la formation des entraîneurs, financés et contrôlés par des subventions de l’état.
Mais rien n’est stable, rien n’est définitif, tout évolue. Progressivement se sont affrontés dans le monde deux modèles : celui du sport d’état, dans les pays « communistes », et celui de la pratique individuelle et libérale, dans les pays sous influence des États Unis. Et entre les deux une exception culturelle, le modèle français, réunissant d’heureuse manière le monde associatif et l’intervention de l’état. Le monde change et la chute du mur et la mondialisation ont mis tout le monde sous l’influence du modèle américain.
Aujourd’hui en France deux modèles s’affrontent, celui des pratiquants, modèle fédéral et associatif à la française, et celui de la vedette et du spectateur, éventuellement sans pratiquants, dérivé du modèle anglo-saxon. On peut sans exagérer dire qu’en France on pratique, et aux États Unis on regarde. Le monde des Français sportifs et affûtés, et le monde des Américains spectateurs obèses, à part les riches qui peuvent payer. Car cela n’est pas sans poser de redoutables problèmes, des problèmes économiques bien sûr.
Le Racing Club de France vit une crise exemplaire, qui préfigure peut-être la fin du modèle sportif français.
Aujourd’hui en France, les licenciés des fédérations sont payés pour pratiquer le sport qu’ils aiment. Quand vous vous inscrivez dans un club, il porte en général le nom de votre ville. Et la ville vous paye pour que vous pratiquiez le sport que vous faites. Souvent 10 fois le prix de votre cotisation. La ville paye votre entraîneur car vos cotisations n’y suffiraient pas, paye aussi le stade, la piscine, ce qui représente souvent des sommes énormes. Au RCF, c’est la même chose, sauf ce sont les membres de La Croix Catelan qui, par les bénéfices que dégagent leurs cotisations, payent les licenciés de sections sportives.
Or il se passe ceci de nouveau : les collectivités territoriales se retirent partout du sport. Le poste budgétaire du sport est réduit dès qu’il faut faire face aux dépenses considérables entraînées par la décentralisation… ou parfois par l’incurie des élus…
Le RCF a toujours été novateur. Il a été le premier club à avoir ses propres installations, le premier club à payer des entraîneurs (souvenez vous du film « Les chariots de feu », cela ne se faisait pas du tout en 1924 !), le premier à payer les sportifs, le premier à frôler la faillite à cause de cela et à cesser (temporairement ?) de payer le haut niveau. Sera t’il le premier à inaugurer la mort du système sportif associatif et fédéral à la française ?
Comment cela peut-il arriver ?
La Mairie de Paris envisage de retirer à l’association à but non lucratif Racing club de France la concession de La Croix Catelan, où la modeste cabane des débuts à laissé place à 40 courts de tennis, deux piscines dont une olympique, et des installations luxueuses. Les cotisations et droits d’entrée de ses 12 000 membres (sur les 20 000 de l’association), génèrent 7 millions d’Euros de bénéfices, reversés aux sections sportives qui payent des entraîneurs et forment 3500 enfants et autant de jeunes adultes. Les sections les plus dynamiques entretiennent des équipes de haut niveau, voire de très haut niveau. Sans cette manne, tout cela disparaîtrait. Des années de travail de fond, de vrai sport, de vie sociale, peuvent cesser d’exister du jour au lendemain.
La mairie prévoit, selon un projet préparé depuis de longs mois, de donner la jouissance de ce site qui vaut 40 millions d’Euros, à une entreprise privée dont le projet, tout à fait utile et louable en lui même, est d’intégrer tous les éléments du sport, de la vedette aux médias, en passant par l’encadrement, dans une entreprise sportive à but lucratif. Le moyens mis en œuvre sont énormes, et dans au moins deux sports où les sportifs de très haut niveau ont rompu tout lien avec les fédérations, le tennis et l’athlétisme, il est assez naturel. Cette entreprise vise à faire du profit, ce qui est normal. Elle n’a donc aucune raison de subventionner le sport amateur et la formation des jeunes. Cela coûte de l’argent et n’en rapporte pas. Elle ne maintiendra pas les activités du sport associatif et fédéral au delà d’une vague promesse initiale qu’elle ne pourra pas tenir (la bourse réagit négativement au projet sportif du Groupe Lagardère !).
Que faire ?
Il faut conserver la répartition des rôles entre au moins trois interlocuteurs. Il faut garder la séparation entre clubs associatifs, fédérations, et sponsors, mais aussi avec les médias. D’autant plus que sponsors et médias peuvent être confondus comme dans le cas qui nous intéresse, celui du Groupe Lagardère. Si cette structure associative et indépendante n’est pas maintenue en parallèle (c'est à dire séparément!) aux activité de telles sociétés, il y aura forcément des conflits d’intérêt et de lourdes menaces sur l’éthique sportive.
Il faut donner au Groupe Lagardère l’espace dont il a besoin pour réussir, et Paris ne manque pas de lieux possibles pour cela. Mais il faut aussi laisser vivre le Racing Club de France, qui seul peut aujourd’hui réussir cette performance de regrouper dans une même association le sport de Haut Niveau (il en a à nouveau les moyens financiers, et a les infrastructures et les compétences pour le faire), la formation des plus jeunes, et le sport fédéral et associatif, un des rares lieux de convivialité de cette société éclatée. Et ceci sans aucune subvention publique.
Marc Fortier-Beaulieu, président de la Section Triathlon du Racing Club de France.
Du hall de la Gare Saint Lazare à Athènes.
Il était une fois un groupe de collégiens parisiens passionnés de sport. Ils s’entraînaient parfois dans le hall de la gare Saint Lazare, et cherchaient un endroit plus favorable. Il s’associèrent en 1882. Ils prirent le nom de Racing Club de France. On leur attribua une clairière du Bois de Boulogne, le Pré Catelan. Il y construisirent une cabane et c’est ainsi que commença une des plus grandes aventures sportives du XX siècle. En 1896, ils formaient la majorité de la délégation française aux premiers Jeux Olympiques modernes à Athènes. Et en 1900 ils organisèrent des Jeux Olympiques sur le terrain de La Croix Catelan. Dès que possible, en 1901 Il déposèrent les statuts de leur association. Leur secrétaire général, Georges de Saint Clair, fut avec Coubertin et Henri Didon, l’un des théoriciens de l’organisation du sport en France. En 1924, comme on n’avait pas de stade pour les Jeux Olympiques de Paris, le club qu’ils avaient fondé en construisit un à Colombes. Quelques années plus tard, le club comptait 96 médaillés olympiques, 53 titres de Champion du Monde, plus de mille titre de Champion de France.
La conception du sport à laquelle ils souscrivaient et qu’ils ont fait vivre s’est imposée comme modèle à la France entière.
Ce modèle qu’ils ont contribué à imposer était fait d’associations sportives, regroupées en fédérations nationales, les fédérations se faisant représenter dans un Comité Olympique National, qui était lui-même représentant de la France au Comité International Olympique. Les clubs et les fédérations se sont donc partagé les rôles. Aux clubs les athlètes, la formation de terrain, la vie sociale, dans leur ville ou leur région, à charge pour eux de trouver des financements (par leurs cotisations, ou par des mécènes ou des partenaires industriel et plus souvent des collectivités territoriales) ; aux fédérations l’encadrement national, les équipes de France, la réglementation, la formation des entraîneurs, financés et contrôlés par des subventions de l’état.
Mais rien n’est stable, rien n’est définitif, tout évolue. Progressivement se sont affrontés dans le monde deux modèles : celui du sport d’état, dans les pays « communistes », et celui de la pratique individuelle et libérale, dans les pays sous influence des États Unis. Et entre les deux une exception culturelle, le modèle français, réunissant d’heureuse manière le monde associatif et l’intervention de l’état. Le monde change et la chute du mur et la mondialisation ont mis tout le monde sous l’influence du modèle américain.
Aujourd’hui en France deux modèles s’affrontent, celui des pratiquants, modèle fédéral et associatif à la française, et celui de la vedette et du spectateur, éventuellement sans pratiquants, dérivé du modèle anglo-saxon. On peut sans exagérer dire qu’en France on pratique, et aux États Unis on regarde. Le monde des Français sportifs et affûtés, et le monde des Américains spectateurs obèses, à part les riches qui peuvent payer. Car cela n’est pas sans poser de redoutables problèmes, des problèmes économiques bien sûr.
Le Racing Club de France vit une crise exemplaire, qui préfigure peut-être la fin du modèle sportif français.
Aujourd’hui en France, les licenciés des fédérations sont payés pour pratiquer le sport qu’ils aiment. Quand vous vous inscrivez dans un club, il porte en général le nom de votre ville. Et la ville vous paye pour que vous pratiquiez le sport que vous faites. Souvent 10 fois le prix de votre cotisation. La ville paye votre entraîneur car vos cotisations n’y suffiraient pas, paye aussi le stade, la piscine, ce qui représente souvent des sommes énormes. Au RCF, c’est la même chose, sauf ce sont les membres de La Croix Catelan qui, par les bénéfices que dégagent leurs cotisations, payent les licenciés de sections sportives.
Or il se passe ceci de nouveau : les collectivités territoriales se retirent partout du sport. Le poste budgétaire du sport est réduit dès qu’il faut faire face aux dépenses considérables entraînées par la décentralisation… ou parfois par l’incurie des élus…
Le RCF a toujours été novateur. Il a été le premier club à avoir ses propres installations, le premier club à payer des entraîneurs (souvenez vous du film « Les chariots de feu », cela ne se faisait pas du tout en 1924 !), le premier à payer les sportifs, le premier à frôler la faillite à cause de cela et à cesser (temporairement ?) de payer le haut niveau. Sera t’il le premier à inaugurer la mort du système sportif associatif et fédéral à la française ?
Comment cela peut-il arriver ?
La Mairie de Paris envisage de retirer à l’association à but non lucratif Racing club de France la concession de La Croix Catelan, où la modeste cabane des débuts à laissé place à 40 courts de tennis, deux piscines dont une olympique, et des installations luxueuses. Les cotisations et droits d’entrée de ses 12 000 membres (sur les 20 000 de l’association), génèrent 7 millions d’Euros de bénéfices, reversés aux sections sportives qui payent des entraîneurs et forment 3500 enfants et autant de jeunes adultes. Les sections les plus dynamiques entretiennent des équipes de haut niveau, voire de très haut niveau. Sans cette manne, tout cela disparaîtrait. Des années de travail de fond, de vrai sport, de vie sociale, peuvent cesser d’exister du jour au lendemain.
La mairie prévoit, selon un projet préparé depuis de longs mois, de donner la jouissance de ce site qui vaut 40 millions d’Euros, à une entreprise privée dont le projet, tout à fait utile et louable en lui même, est d’intégrer tous les éléments du sport, de la vedette aux médias, en passant par l’encadrement, dans une entreprise sportive à but lucratif. Le moyens mis en œuvre sont énormes, et dans au moins deux sports où les sportifs de très haut niveau ont rompu tout lien avec les fédérations, le tennis et l’athlétisme, il est assez naturel. Cette entreprise vise à faire du profit, ce qui est normal. Elle n’a donc aucune raison de subventionner le sport amateur et la formation des jeunes. Cela coûte de l’argent et n’en rapporte pas. Elle ne maintiendra pas les activités du sport associatif et fédéral au delà d’une vague promesse initiale qu’elle ne pourra pas tenir (la bourse réagit négativement au projet sportif du Groupe Lagardère !).
Que faire ?
Il faut conserver la répartition des rôles entre au moins trois interlocuteurs. Il faut garder la séparation entre clubs associatifs, fédérations, et sponsors, mais aussi avec les médias. D’autant plus que sponsors et médias peuvent être confondus comme dans le cas qui nous intéresse, celui du Groupe Lagardère. Si cette structure associative et indépendante n’est pas maintenue en parallèle (c'est à dire séparément!) aux activité de telles sociétés, il y aura forcément des conflits d’intérêt et de lourdes menaces sur l’éthique sportive.
Il faut donner au Groupe Lagardère l’espace dont il a besoin pour réussir, et Paris ne manque pas de lieux possibles pour cela. Mais il faut aussi laisser vivre le Racing Club de France, qui seul peut aujourd’hui réussir cette performance de regrouper dans une même association le sport de Haut Niveau (il en a à nouveau les moyens financiers, et a les infrastructures et les compétences pour le faire), la formation des plus jeunes, et le sport fédéral et associatif, un des rares lieux de convivialité de cette société éclatée. Et ceci sans aucune subvention publique.
Marc Fortier-Beaulieu, président de la Section Triathlon du Racing Club de France.